Comprendre le Scénario Net Zéro Emissions 2050 de l’AIE

centrale solaire au sol
Perspectives selon le scénario Net Zero Emissions 2050 de l’Agence Internationale de l’Energie
1.   Le scénario Net Zero Emissions (NZE) de l’AIE

L’Agence Internationale de l’Energie a récemment publié un rapport attendu : « Net Zero by 2050 – A Roadmap for the Global Energy Sector ». Il présente une stratégie énergétique prévoyant des émissions anthropiques de COqui passeraient de 34 milliards de tonnes par an en 2020 (tous secteurs confondus) à moins de 8 en 2050 (le « net zéro » étant atteint par capture et stockage des émissions restantes).

C’est donc une division par plus de 4 des émissions mondiales, très ambitieuse mais nécessaire. Dans cet exercice prospectif, l’AIE imagine un mix énergétique global aux 2/3 renouvelable à l’horizon 2050, avec une consommation légèrement réduite par rapport à aujourd’hui.

total energy supply in the NZE

 

Ce mix se serait largement électrifié : la part de l’électricité dans la consommation finale d’énergie passerait de 20% en 2020 à 50% en 2050. Solaire photovoltaïque et éolien joueraient un rôle de premier plan, en fournissant chacun 1/3 de la production mondiale d’électricité en 2050. (1) (2)

global total final consumption by fuel in the NZE

 

Dans le scenario NZE, le solaire photovoltaïque passerait ainsi d’une production mondiale de 820 TWh en 2020 à 23 500 TWh en 2050, c’est-à-dire presque autant que la production annuelle totale d’électricité aujourd’hui (27 000 TWh).

Ce serait donc une multiplication par presque 30 de la production d’électricité solaire d’ici 2050. Mais… est-ce soutenable en termes de consommation de matières premières et d’espace ?

 

2.   Quelle consommation d’espace ?

23 500 TWh de production annuelle d’électricité solaire représenterait, en se basant sur les données 2020, environ 20 000 GWc de capacité installée. (3) (4)

Ce qui nous intéresse ici est d’avoir des ordres de grandeur, donc prenons l’hypothèse simplificatrice que cette électricité solaire proviendrait pour moitié de centrales au sol, et pour moitié de centrales sur toitures.

Aujourd’hui, la densité énergétique typique d’une centrale au sol est de l’ordre de 1 MWc par hectare de terrain (5), et celle d’une centrale sur bâtiment de 1.5 MWc par hectare de toiture. Retenons ces hypothèses, même s’il est certain que ces densités s’amélioreront d’ici 2050, avec les gains en efficacité attendus des panneaux photovoltaïques.

 

centrale solaire bâtiment logistique

Centrale solaire sur bâtiment logistique (photo Technique Solaire)

centrale solaire au sol

Centrale solaire au sol (photo Technique Solaire)

 

Une production mondiale de 23 500 TWh d’électricité solaire en 2050 nécessiterait ainsi :

  1. 10 000 GWc de centrales au sol, pour une surface utilisée d’environ 10 millions d’hectares de terrain (100 000 km2), soit 1% de la surface du Sahara.
  2. Et 10 000 GWc de centrales sur bâtiments, pour une surface utilisée d’environ 7 millions d’hectares de toitures (70 000 km2), soit moins de 10% des surfaces bâties au niveau mondial. (6)
3.   Quelle consommation de ressources ?

On se concentre ici sur un seul type de technologie photovoltaïque, qui constitue environ 95% du marché mondial : le silicium cristallin (c-Si).

 

schéma composition panneau solaire

Composition d’un panneau solaire (image Jade Technologie)

 

Un panneau photovoltaïque se compose de différents matériaux : aluminium (châssis), verre, matière plastique (encapsulant et membrane), silicium (cellules photovoltaïques), qui comptent ensemble pour environ 99% du poids total. On y trouve également en quantités minimes du cuivre, de l’argent, du plomb, de l’étain et du zinc pour les soudures et la connectique.

Une centrale solaire comporte en outre des structures de support au sol ou sur toiture (généralement en acier), des câbles (en cuivre ou aluminium), du béton (7), des onduleurs et des transformateurs contenant acier, aluminium, cuivre, et différents autres métaux et composants électroniques.

 

centrale solaire au sol

Centrale au sol (photo SMA) 

 

centrale en toiture

Centrale en toiture (photo Van der Valk)

Pour estimer les quantités de matériaux mises en œuvre dans le scenario NZE de l’AIE, on retiendra les données de l’étude publiée en 2020 par le Joint Research Centre de la Commission Européenne (8) :

On voit que les quantités des principales matières premières mobilisées, bien qu’élevées pour certaines, restent raisonnables, que ce soit par rapport aux ressources minières connues à ce jour ou par rapport à la production actuelle. D’autant que l’argent comme le cuivre sont partiellement substituables. (10)  Quant au silicium, qui est le « principe actif » d’un panneau photovoltaïque, c’est le 2ème élément le plus abondant de la croûte terrestre.

Et les batteries ?

Le scénario NZE de l’AIE estime à 12 400 GWh la capacité de stockage nécessaire au niveau mondial en 2050, étant donné que le réseau électrique serait alors alimenté majoritairement par les sources intermittentes que sont le solaire et l’éolien. (11)

Une batterie lithium-ion contient 160 grammes de lithium par kWh. (12) Si ces 12 400 GWh provenaient exclusivement de stockage sur batterie, cela correspondrait à 2 millions de tonnes de lithium, soit seulement 2.5% des ressources identifiées à ce jour (80 millions de tonnes en 2020 (9), ce chiffre est revu à la hausse chaque année). Il y a d’autres métaux dans les batteries lithium-ion, mais il en existe une variante sans nickel, cobalt ni manganèse : les batteries LFP (lithium-fer-phosphate), plus lourdes mais bien adaptées au stockage stationnaire. Le lithium est donc la principale matière première limitante pour les batteries, et on voit que ses ressources ne sont pas un sujet d’inquiétude.

 

4.   Conclusion

Le scénario Net Zero Emissions 2050 de l’AIE est un scénario énergétique parmi nombre d’autres. Mais il est ambitieux, et donne ainsi une bonne référence pour estimer la faisabilité en termes de limites physiques d’un déploiement à grande échelle de l’énergie solaire photovoltaïque.

On peut conclure de cette brève étude que fournir au niveau mondial en 2050 presque autant d’électricité solaire que la production totale actuelle apparaît réaliste, que ce soit en termes d’utilisation de surface ou de consommation de matières premières.

Mais au-delà de 2050 ? Il est évident que le secteur du solaire ne sera pas le seul utilisateur de cet espace et de ces ressources. Pour cette raison, si on se projette vraiment à long terme, davantage de sobriété et la mise en place d’un recyclage systémique et d’une industrie vraiment circulaire seront indispensables. Mais cette considération touchera tous les secteurs, pas uniquement celui de la production d’énergie.

 

Par Guilhem de Tyssandier d’Escous, Responsable Développement International

 

Sources et notes :

  1. Sur le graphique : EJ = exajoule. 1 EJ = 278 TWh (térawattheures).
  2. https://iea.blob.core.windows.net/assets/ad0d4830-bd7e-47b6-838c-40d115733c13/NetZeroby2050-ARoadmapfortheGlobalEnergySector.pdf : p. 198.
  3. Wc = watt crête, représentant la puissance maximale pouvant être fournie par un module photovoltaïque dans des conditions standards (mais pas nécessairement la puissance maximale injectée sur le réseau électrique, un peu plus faible et exprimée en watts).
  4. En se basant sur la production moyenne mondiale en 2020 : https://iea-pvps.org/snapshot-reports/snapshot-2021/à 760 GWc de capacité installée au niveau mondial fin 2020, pour 140 GWc de nouvelles centrales construites durant l’année, soit une capacité mondiale moyenne en 2020 de 690 GWc. Comparée à la production annuelle du PV en 2020 de 820 TWh, cela donne une production moyenne de 1190 kWh/kWc.
  5. Toujours pour raisonner en ordre de grandeur, on considère ici uniquement des centrales au sol avec structures fixes. Il existe aussi des centrales avec structures mobiles dites « trackers », qui produisent davantage par MWc installé, mais réclament aussi davantage d’espace. De même, on considère des productions identiques pour le sol et la toiture, alors que les centrales au sol produisent généralement un peu plus que leurs homologues en toiture à puissance égale.
  6. https://stats.oecd.org/Index.aspx?DataSetCode=BUILT_UP: 785 000 km2 de surface bâtie (bâtiments) en 2014.
  7. L’emploi du béton est généralement limité aux postes haute tension, aux fondations d’ombrières de parking, et parfois aux lests des centrales posées en toiture. Les fondations des centrales au sol sont sans béton la plupart du temps (pieux acier battus ou vissés directement dans le sol).
  8. https://eitrawmaterials.eu/wp-content/uploads/2020/04/rms_for_wind_and_solar_published_v2.pdf : p. 39.
    Cette étude a le mérite d’être récente et de compiler différentes sources, mais même si elle comptabilise la quasi-totalité des matériaux mis en oeuvre dans une centrale solaire, elle n’est pas encore tout à fait exhaustive, car elle ne prend pas en compte les matières premières nécessaires pour le raccordement au réseau ou celles utilisées en quantité marginale dans les composants électroniques autre que les panneaux photovoltaïques.
  9. Les valeurs de réserves minières sont issues du rapport « Mineral Commodity Summaries 2020 » de l’US Geological Survey
    (https://pubs.usgs.gov/periodicals/mcs2020/mcs2020.pdf)
    La production de référence de verre est celle de verre plat.
    La production de silicium donnée par l’USGS est sans distinction de qualité (la production de silicium de qualité solaire est aujourd’hui d’environ 500 000 tonnes/an).
  10. Par exemple, les câbles électriques ne doivent pas nécessairement être en cuivre, une bonne partie sont déjà en aluminium, même si le cuivre offre les meilleures caractéristiques. De même, des procédés sont à l’étude pour remplacer l’argent dans la connectique des cellules photovoltaïques.
  11. https://iea.blob.core.windows.net/assets/ad0d4830-bd7e-47b6-838c-40d115733c13/NetZeroby2050-ARoadmapfortheGlobalEnergySector.pdf : p. 177.
  12. Ce sont des données 2015, en 2050 ce ratio sera probablement plus bas :
    https://publications.lib.chalmers.se/records/fulltext/230991/local_230991.pdf : p. 16.
Crise énergétique : Le Marché de l’électricité, un coupable idéal L’agrivoltaïsme, une synergie ?
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